La loupe du charme
La loupe du charme
Photo Yvan Bernaer
Les monstres végétaux existent. Ils sont nombreux, partout autour de nous, et la tératologie végétale est une science florissante. Une esthétique surtout, qui intègre tant la minceur que la grosseur, et même l'énormité. J'aime le mot « tératologie ». J'éprouve toujours un malin plaisir à lui faire rouler le « r », le « térato » qui grogne et rugit comme le monstre qu'il cache en lui. L'émotion que suscite la tératologie végétale pourrait être interprétée comme un compromis freudien entre la peur et la fascination qu'exercent sur nous les monstres humains et animaux. En effet, si quelque plante difforme ou monstrueuse réveille en nous des terreurs, celles-ci sont sitôt jugulées par la qualité même du végétal : un monstre végétal est immobile, silencieux, inoffensif. Ne demeure alors que la jubilation esthétique devant l'étrangeté des formes, des excroissances, des enlacements et soudures insolites. Ainsi en est-il d'un champignon à deux têtes, d'arbres frères siamois, de fasciations, de balais de sorcière... ou de loupes, telle celle arborée par notre charme. Le mot « loupe » pourrait venir de l'onomatopée « lopp » : morceau informe qui pend (issu de « faire la loupe », c'est-à-dire : tirer la langue , dans le « Roman de Renart »). Ce mot évolua, entre autres, vers « kyste sébacé » et, par analogie, « excroissance ligneuse » et « loupe optique » (bombement de la lentille). Loupeux, loupeur, louper, loupage, loupiat... ont également à voir avec le « Roman de Renart ». Seule « loupiote » se démarque du lot : elle désignait une bougie dans les tranchées de La Grande Guerre... mais le dernier poilu n'est plus là pour nous le dire !
Note : Les loupes sont dues à une réaction de l'arbre ( production de tissus supplémentaires) face à une agression fungique ou microbienne.
Chronique NR du 20 mars 2008
