Archives Fonge et Florule

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Le bolet rose pourpre

Le Bolet rose pourpre


Photo Yvan Bernaer

 

Tantôt papier peint suranné, tantôt prairie de houlque laineuse ondulant à la brise de mai, tantôt "petits nuages bleus et roses et persistants comme des regrets qui flottent à l'horizon¹ ", son "vieux rose² " éteint, légèrement purpuracé, fondu au jaune et au grisâtre olivacé, est sa marque de fabrique.

Mais le Bolet rose pourpre : Boletus rhodopurpureus³ Smotlacha, c'est aussi un rougissement intense, un empourprement incontrôlé. Son chapeau saigne. Ses pores⁴, son pied, son réseau – tous jaunes à l'origine – s'inondent⁵ de rouge.

De surcroît, à la moindre écorchure, au moindre contact avec le panier⁶, au moindre froissement, il bleuit éperdument – bleu indigo, bleu noir – en sa chair, sur son corps, et si bizarrement sur son chapeau... qu'on le traite de bolet "se salissant⁷ ". Vrai qu'il faut le voir en sa prime jeunesse, nous jeter aux yeux ses splendeurs immaculées, son jaune tendre rehaussé de "vieux rose", son rouge sang liseré de jaune vif, ses mailles écarlates... et s'emmêler brusquement dans la facétie⁸ de ses teintes, s'empourprer, se cyanoser, s'enténébrer... se salir jusqu'à la lie ! Éblouissante alchimie... qui s'éteint doucement en de mourantes braises.

 

Notes :

1– "Les plaisirs et les jours", Marcel Proust.

2 – Cette couleur "vieux rose" mat (qui peut être absente, notamment dans la forme xanthopurpureus, ou au contraire saturée dans la forme polypurpureus), elle-même susceptible de légères variations vers le rouge, est unique et caractéristique de l'espèce (Guy Redeuilh, bulletin SMF 1992, fascicule 3).

3 – Boletus rhodopurpureus affectionne les bois de feuillus calcaires thermophiles. En cette chaude et sèche fin d'été 2009, il pousse de concert avec le Bolet Satan, dans les bois de Saint-Maur, dans l'Indre.

4 – Les pores deviennent rapidement rouges (tout en restant jaunes à la marge), alors que chez Boletus luteocupreus ils sont rouges dès le plus jeune âge, et que chez Boletus torosus ils demeurent longtemps jaunes et ne se teintent que partiellement de nuance rouge à partir du pied.

Guy Redeuilh mentionne une "corrélation", une simultanéité entre le passage du jaune au rouge orangé des pores et l'apparition du "vieux rose" sur le chapeau chez Boletus rhodopurpureus.

5 – Il est fascinant de prendre conscience de l'évolution, de la "couleur en marche ", du jaune vers le rouge, variable en temps et en intensité selon les différentes parties du champignon, et avec des gradients divers au sein des espèces proches.

6 – Guy Redeuilh note plaisamment que les exemplaires qui ne "bleuissaient" apparemment pas à la récolte, après avoir "roulé" dans un panier... sont trahis par des traces noirâtres (signe de bleuissement). Il appelle cela "l'épreuve du panier".

7 – Notre bolet appartient à la série Torosus (anciennement stirpe "inquinans").

Cette propriété et sa singulière dénomination : "se salissant", est une belle illustration d'une des composantes du monde fungique : la souille, le sale, le sordide, le salissant (voir "L'intuition de la matière chez les mycologues", Richard Bernaer et Évelyne Ferrand, 1998).

En dehors d'espèces petites à moyennes et typiquement méridionnales (Boletus martaluciae, poikilochromus, permagnificus), la série Torulosus renferme 4 espèces :

Boletus torosus, à chair exceptionnellement dense, à chapeau d'abord jaune puis panaché de gris verdâtre sale,

Boletus xanthocyaneus, à chapeau, pores et pied longtemps entièrement jaunes,

Boletus luteocupreus, à chapeau totalement dépourvu de teintes "vieux rose", mais très vite envahi de rouge cuivré, à pores et à pied toujours rouges,

et notre Boletus rhodopurpureus, ainsi que ses formes :

Boletus rhodopurpureus f. xanthopurpureus, restant longtemps jaune et ne virant pas au "vieux" rose",

Boletus rhodopurpureus f. polypurpureus, au chapeau saturé de "vieux rose" pourpré sombre,

Boletus rhodopurpureus f. gallicus, à chapeau d'abord crème jaunâtre.

8 – Guy Redeuilh parle "d'évolution chromatique", de "polychromisme exacerbé".

 

Chronique Echo du Berry du 8 octobre 2009



12/10/2009
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