Archives Fonge et Florule

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Lecanora muralis

Un lichen très urbain

Photo YvanBernaer

 

Il jonche le macadam, comme les auréoles blafardes des chewing-gums1 écrasés-piétinés, incrustés au fil du temps. Il en a l'aspect sale et répugnant.

Mais quand le regard se pose, s'approche, se penche... c'est la métamorphose ! Les dartres lépreuses deviennent rosaces aux contours nets, lobés-dentelés, du plus joyeux vert laiteux qui soit, semées çà et là de minuscules bulles2 à liseré blanc, et grouillant en leur centre d'apothécies brunes, telle une concentration de petits oeufs d'oiseaux.

Les Lecanora (du grec lekanos : petit plat, bassin, cuvette), développent des apothécies lécanorines, c'est-à-dire à bord thallin net, généralement plus clair et ressemblant à un col roulé de pull-over, tandis que les Lecidea (du grec lekos : assiette, écuelle), montrent des apothécies lécidéines, dépourvues de rebord thallin.

Lecanora ou Lécanorine, et Lecidea ou Lécidéine pourraient être des soeurs jumelles, la première espiègle et affirmée, la seconde douce...

Notre lichen : Lecanora muralis (Schreber) Rabenhorst, au thalle crustacé non séparable du support, aréolé3 et à contour distinctement lobé sur le pourtour, se plaît sur les roches calcaires, et surtout sur les murs, les toits, le béton, le bitume. Il abonde dans Châteauroux et dans bien d'autres villes et villages du Berry et, rompu à toute épreuve comme son voisin de pavé le Pâturin annuel, qui résiste aux herbicides... il supporte stoïquement la pollution de l'air.


 

Chronique Echo du Berry du 17 février 2011



1    Véronique Nahoum-grappe évoque à deux reprises les chewing-gums écrasés sur les trottoirs et le bitume des villes ( CLARTÉS D'ÉPOQUE : POUR UNE ESTHÉTIQUE ORDINAIRE DE LA MODERNITÉ, in Figures (Cahier du Centre de Recherche sur l'Image, le Symbole, le Mythe), numéros 13-14 : SOLEILS FUNESTES.

      LES TACHES ET LES TEINTES

      Les taches à la clarté passée et aux contours indéfinis qui parsèment les trottoirs du métro parisien sont la trace dernière et irrécupérable de multiples pâtes à mâcher, mastiquées puis piétinées sans fin, et qui finissent avec le temps par ne plus s'effacer.

           LE CERCLE DES CHOSES ABANDONNÉES

       La phénoménologie de l'éclat moderne présente une sorte de hiatus silencieux entre un brillant d'époque allumé sur les écrans colorés, sur les objets neufs, et une blancheur atone, gommée, qui prend sa place dans le cercle des choses en trop, qui devraient ne plus être là. Le vernis le plus rutilant finit avec le premier cycle de l'abandon par « blanchir », râpé et délavé par le temps. On ne distingue plus, après un laps de temps sans doute calculable, entre les taches blanchâtres la couleur d'origine du chewing-gum devenu auréole décolorée sur le bitume. Le blanc gagne toujours avec le temps sur les autres couleurs : ainsi un monde d'objets colorés tendra à produire du blanc au bout du compte, un blanc traînard.

 

      Yvan Bernaer se fait aussi le chantre des chewing-gums écrasés dans un texte intitulé Le non-voyage, datant de    février 2004 :

      Je remonte à présent le rue de la Poste...

      Elle brille étrangement ce matin, puissamment. Le soleil atterrit droit dessus et y allume des milliers d'étoiles. Oui ce sont bien des milliers d'étoiles. La rue ne brille pas uniformément comme brillerait une plaque d'inox, elle luit point par point, d'une myriade de points précis comme des lucioles fossilisées vivantes dans son asphalte saumoné ; comme si un coup de vent cette nuit dans la voie lactée avait fait tomber les constellations sur le sol ; un automne d'étoiles mortes.
Curieux. Je me fige un instant, mirettes concentrées. Savoir d'où cela provient ? Identifier la petite allumette qui enflamme à ce point mon imagination ? Alors, je perce le mystère : ces milliers d'astres que l'on piétine, étincelles de la rue, sont en fait des chewing-gums écrasés, tannés, polis par les piétons durant des années. Le sol en est maculé. Chacun renvoie un rayon de soleil. C'est impensable... bon sang... tant de chewing-gums ! Et voici en quel phénomène étrange ils ont été recyclés. Touchés par la main du temps, main magique qui érode, qui absorbe, qui sacralise et harmonise vers la douceur des fossiles et des ruines. Travail génial du temps ami, du temps libertin qui n'oeuvre que pour lui. Même à ces vieux déchets il fait connaître un heure de grâce.

      (20 février 2004)

 

2    Ce sont des apothécies jeunes ; rappelons que les apothécies, organes de la reproduction, sont de petites coupes dont l'intérieur est tapissé des spores.

       

3    Aréolé (du latin areola, diminutif de area : place) : se dit d'un thalle divisé en petites zones par des craquelures plus ou moins régulières ; à ne pas confondre avec auréolé (du latin aureola, adjectif féminin dans corona aureola : couronne d'or.



25/02/2011
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